mercredi 11 mars 2020

Du Bonheur quelque peu révolutionnaire de se voir vieillir

Ce fait ne surprendra probablement personne, mais posons-le tout de même : vieillir n'est pas bien vu dans notre société. Et encore moins pour une femme.
Pourtant, et j'espère que cela ne surprendra personne non plus : nous vieillissons tou·te·s, pour autant que nous vivions plus de deux décennies 
Or, nous serions censées retenir à tout prix l'apparence de nos vingts ans, le plus longtemps possible, comme si nous étions arrivées au faîte de notre beauté - beauté qui se devrait donc d'être immuable.


Les femmes surtout sont concernées par cette honte liée aux années qui passent... Combien de fois n'ai-je pas entendu, petite fille, qu'on ne demande pas son âge à une dame ? Pourquoi ? Parce que c'est honteux d'avoir trente-cinq, quarante, soixante ans ? Parce qu'en plus d'avoir l'air jeune, il faudrait également ne pas s'être abaissée à vieillir ?
Combien de personnes se sont offusquées de m'entendre décrire quelqu'un en disant qu'il est vieux, en poussant de hauts cris "Mais non, il n'est pas vieux !"
Aussi improbable que cela puisse paraitre, quand je dis "vieux" ou "vieille", je ne l'entends pas comme une insulte, ou un défaut, c'est un fait.
Tout comme de dire d'untel qu'il ou elle fait jeune n'est pas nécessairement un compliment.

Et c'est là que j'entre en scène : moi, j'ai l'air jeune. On s'entend, je suis jeune, j'ai un peu moins de vingt-neuf ans au moment où j'écris ces lignes. Mais j'ai toujours eu l'air jeune pour mon âge.
Et cela a plus souvent été une souffrance qu'un plaisir.
Dès que ma petite soeur, de deux ans ma cadette, a eu huit ou neuf ans, on la prenait pour l'aînée. Ce qui me faisait mal, parce qu'on m'ôtait une part de mon identité (réflexion rétrospective, hein, je ne me le formulais pas comme ça à l'époque).
Puis est venue l'adolescence, avec son lot de paradoxe : d'un côté, je ne voulais pas grandir, j'avais peur de devenir comme les grandes du collège (misogynie intégrée, mais c'est une autre histoire), et de l'autre je voulais m'affirmer, évoluer, qu'on me considère. Quand je râlais d'être prise pour plus jeune que je n'étais, on me consolait en disant : "Tu verras, quand tu auras trente ou quarante ans, tu feras dix de moins, et là ça sera cool". J'ai fini par faire mien ce discours...
Et puis vingt ans... l'âge où l'on est censée être au sommet de la beauté féminine... Moi j'avais beaucoup de peine à m'aimer, donc je n'ai que peu profité. Mais j'avais quand même peur de vieillir, de changer. Puisque la jeunesse était ma principale qualité, je me demandais à quel moment il allait falloir me mettre à l'anti-ride avant que les dégâts ne soient trop avancés, je me faisais une fierté de mes seins hauts et ronds tout en angoissant des les voir se flétrir. J'ai haï mes vergetures sur mes cuisses et mes fesses, alors que je me devais d'avoir une peau lisse - une peau de bébé.

Et c'est là que le bât blesse : on espère des femmes qu'elles restent prépubères : une peau lisse, glabre, des membres fins, une fragilité dans l'allure, ... Ce sont les caractéristiques de l'enfance, et non de la féminité.
ma tronche, juin 2019
En prenant conscience de tout ça, en approfondissant ma pensée féministe, en découvrant la body-positivity, en admirant les femmes autour de moi, en faisant la paix avec mes vergetures, mes poils, mon poids, qui disent qui je suis, ce que j'ai vécu, quelle femme je suis, j'ai lâché du lest par rapport à ce qui change et va changer chez moi. 
J'ai accepté que les seins de mes vingt-huit ans ne sont plus ceux de mes vingt ans, et qu'ils ne seront plus les mêmes dans cinq, dix, trente ans ; je regarde mon visage dans le miroir, et je souris en découvrant les plis qui s'invitent sur mon front, d'abord infimes, puis de plus en plus marqués.
Je n'espère plus rester la même jour après jour, année après année, et même si lâcher prise n'est pas toujours évident, je me réjouis de découvrir la femme que je serai à trente ans, à quarante, à cinquante, ...

Et j'espère qu'un jour on ne dira plus d'une femme qu'elle est "encore belle pour son âge", car à chaque âge sa beauté.

En un sens, j'ai eu de la chance que ma jeunesse apparente, qui fait encore s'étouffer pas mal de monde lorsque je donne mon âge, soit un fardeau : cela m'a permis de ne pas en faire une fierté à laquelle je me serai accrochée désespérément. J'ai eu envie que mon corps et mon visage deviennent plus matures d'abord pour être prise au sérieux, et maintenant j'attends cette maturité avec curiosité, souhaitant me redécouvrir au fil du temps.

Ce bonheur quelque peu révolutionnaire de se voir vieillir, c'est un énième doigt d'honneur qu'on peut tendre à cette société qui nous emmerde et nous étouffe, cette société qui place la valeur des femmes dans leur beauté et donc leur jeunesse. Et elle sera bien obligée de changer, tout comme nous.

Jeunes et vieux se réjouiront ensemble...