jeudi 31 mai 2018

Prédication : 1 Corinthiens 13


1Quand je parlerais les langues des humains et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis une pièce de bronze qui résonne ou une cymbale qui retentit. 2Quand j'aurais la capacité de parler en prophète, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j'aurais même toute la foi qui transporte des montagnes, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien. 3Quand je distribuerais tous mes biens, quand même je livrerais mon corps pour en tirer fierté, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert à rien. 4L'amour est patient, l'amour est bon, il n'a pas de passion jalouse ; l'amour ne se vante pas, il ne se gonfle pas d'orgueil, 5il ne fait rien d'inconvenant, il ne cherche pas son propre intérêt, il ne s'irrite pas, il ne tient pas compte du mal ; 6il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il se réjouit avec la vérité ; 7il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.8L'amour ne succombe jamais. Les messages de prophètes ? ils seront abolis ; les langues ? elles cesseront ; la connaissance ? elle sera abolie. 9Car c'est partiellement que nous connaissons, c'est partiellement que nous parlons en prophètes ; 10mais quand viendra l'accomplissement, ce qui est partiel sera aboli. 11Lorsque j'étais tout petit, je parlais comme un tout-petit, je pensais comme un tout-petit, je raisonnais comme un tout-petit ; lorsque je suis devenu un homme, j'ai aboli ce qui était propre au tout-petit. 12Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd'hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme je suis connu. 13Or maintenant trois choses demeurent : la foi, l'espérance, l'amour ; mais c'est l'amour qui est le plus grand.
(Traduction : Nouvelle Bible Second)






Amen ! ... Que voulez-vous ajouter à ça ? Paul nous brosse le portrait de l'amour, et c'est beau. C'est même très beau. Trop beau ?
Qui peut prétendre remplir toutes les conditions ? « Patient, bon, pas de passion jalouse, ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil, ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son propre intérêt, ne s'irrite pas, etc... » Bref, vous m'avez comprise... On ne peut pas remplir toutes ces conditions. Donc, on n'a pas l'amour, pas vrai ? Et « si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien ». Alors quoi, on abandonne, on arrête tout ? En lisant ces mots de Paul, il y a de quoi être découragé : « si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien », « si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert à rien »...
Sans même aller jusqu'à vouloir remplir tous les critères, il arrive parfois que l'amour – même notre petit amour d'être humain – et bien... on ne le sente plus trop. On a l'impression de l'avoir perdu... On connait tous ça, n'est-ce pas ? On se lève un matin, et on n'a envie de rien, on n'a l'impression qu'on ne sert à rien, qu'on est un poids pour les gens autour de nous, et pour nous-mêmes... Et d'ailleurs, même quand on a l'impression que tout va bien, comment être sûr qu'on aime, qu'on a l'amour, vraiment ? Est-ce qu'on est pas en train de se leurrer ? ... On fait alors l'expérience du vide, du doute. Dans ces moments de doute, de vide, les mots de Paul peuvent vraiment faire peur : si je n'ai pas l'amour, rien ne sert à rien. En fait, ces mots enfoncent le clou, ils nous désespèrent, ils nous clouent sur place. Comment s'en sortir ? Au moindre doute, à la moindre baisse de régime, tout arrêter, parce que « ça ne sert à rien » ?

Et si Paul avait tort ? Et si on pouvait quand même continuer à agir, même sans avoir l'amour, et que nos actes aient tout de même de la valeur ? On peut peut-être repenser à Mère Térésa : elle qui a consacré sa vie aux pauvres de Calcutta n'est-elle pas l'exemple même de l'amour et de la foi agissantes ? Et pourtant... on a appris après sa mort, en lisant ses correspondances, qu'elle avait vécu des décennies et des décennies dans le doute le plus total, dans une impression de ténèbres et d'abandon de Dieu. Malgré le vide, malgré le doute, elle n'a pas abandonné, elle a continué à agir. Et ça n'a pas servi à rien.
Alors, sans être des Mères Térésa, sans connaitre les affres d'une nuit de la foi, je suis persuadée que chacun d'entre nous peut agir sans toujours se poser la question : « ai-je l'amour ? Est-ce que ce que je fais a du sens ? » Quand on n'en peut plus des questions, quand on n'a pas de réponses, on peut se reposer sur la routine pour continuer d'avancer. Pour en revenir à une expérience plus familière que celle de Mère Térésa, prenons l'exemple de l'université : certains matins, tout va bien, j'aime mes études, je vais en cours toute motivée, assurée du sens que la théologie a pour moi ; et d'autres matins... je suis fatiguée, plus de motivation, les cours ne font plus sens... à quoi bon ? Mais j'y vais quand même, parce que c'est ce que je fais chaque semaine, parce que c'est ma routine. Et quand j'irai de nouveau mieux, je pourrai me remercier d'y être quand même allée, de n'avoir pas abandonné.
Si la routine n'est évidemment pas un but en soi, je crois fermement qu'elle peut être utile pour continuer malgré les crises – crises de foi, crises de sens, crises d'amour. C'est le petit train-train quotidien qui nous maintient sur les rails lors de nos petites (ou grandes) nuits de la foi.

Alors, oui, tant mieux si les mots de Paul nous portent lorsque tout va bien, qu'on se sent rempli d'amour et qu'on a envie d'agir et de devenir meilleur. Mais tant pis si ces mots de Paul ne nous parlent pas. Ne nous mettons pas trop la pression. Après tout, se sentir vide, douter, ça fait partie de notre vie de croyant. Douter, ce n'est pas grave, ce n'est pas être un mauvais croyant. Au contraire... Un ami m'a dit ceci : « Les ombres qui planent sur nos vies sont le signe qu'il y a quelque part une lumière qui vaut la peine d'être cherchée ». 
« Les ombres qui planent sur nos vies sont le signe qu'il y a quelque part une lumière qui vaut la peine d'être cherchée. »

En fait, j'ai peut-être été un peu dure avec Paul, en affirmant qu'il a tort... Parce quand Paul parle d'amour, il ne dit pas tout à fait la même chose que nous, Européens du 21e siècle. Pour nous, l'amour, c'est avant tout un sentiment que chacun individuellement peut ressentir ou ne pas ressentir. On dit : je l'aime, je suis amoureuse – c'est en nous. Pour le coup, l'expression québécoise parlerait probablement plus à Paul : être en amour. Car c'est bien de cela qu'il s'agit quand Paul parle d'amour : ça n'est pas quelque chose qui est d'abord en nous, c'est une force, une force indépendante de nous, qui nous entoure, qui nous porte. En effet, il dit bien « L'amour ne cherche pas ceci, l'amour n'est pas cela », et non pas : « celui qui aime ne cherche pas ceci, celle qui aime n'est pas cela. » Et ça change tout !

Parce que l'amour n'est pas de ma responsabilité : c'est un don de Dieu. Et même plus : Dieu est l'amour. Et cet amour qui est don de Dieu, c'est Dieu qui se donne lui-même à travers le Christ, et qui demeure en nous par l'Esprit Saint. Et ça, c'est beau ! C'est même très beau ! C'est presque trop beau pour être vrai, et pourtant c'est vrai.
Alors, quand les mots de Paul sur l'amour nous laissent un goût amer dans la bouche et dans le coeur, quand ils nous paraissent trop lourds à porter, rappelons-nous qu'il ne parle pas de notre force d'amour. Cette force dont il parle, c'est la force de Dieu, sa force et sa faiblesse qui est l'amour ! Paul a raison : « maintenant, trois choses demeurent : la foi, l'espérance, l'amour. Mais c'est l'amour qui est le plus grand ». Alors quand en nous vacillent la foi, quand semble même s'éteindre l'espérance, rappelons-nous que le Dieu-Amour demeure en nous, toujours ; qu'il est plus grand que tout, plus grand que nos vides, plus grand que nos doutes. Et que c'est sur cette force qu'il faut compter. Oui, l'amour qui nous habite est d'abord l'amour qui vient de Dieu, parfois comme un feu qui réchauffe toute notre âme, parfois comme une braise qui palpite sous la cendre. Mais cet amour est toujours là, prêt à devenir la source de nos actions, de notre amour.
Alors mes amis, n'ayez plus peur : doutez, agissez, croyez, ayez la foi à déplacer des montagne – ou seulement des petits cailloux – mais surtout aimez ! Et laissez-vous aimer.

Amen.



Bibliographie :

FOCANT C., « De l'art de digresser pour donner au sujet une profondeur radicale (1 Corinthiens 13) », in : GERBER D. & KEITH P., Les Hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions. XXIIe congrès de l'Association catholique française pour l'étude de la Bible (Strasbourg, 2007), Les Editions du Cerf, Paris, 2009, pp. 99-118.

GRÜN A., L'Hymne à l'amour, Parole et Silence, 2009.
HERING J., La Première Epître de Saint Paul aux Corinthiens, Commentaire du Nouveau Testament, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel, 1949, pp. 115-122.
KEENER C., 1-2 Corinthiens, Cambridge University Press, Cambridge, 2005, pp. 106-110.
SENFT C., La Première Epitre de Saint Paul aux Corinthiens, 2e édition, Commentaire du Nouveau Testament, Labor et Fides, Genève, 1990, pp. 165-172.

BROWN C. (éd.), The New International Dictionary of New Testament Theology, Paternoster Press, Exeter, 1976, pp. 538-547 (Love).

SPICQ C., Lexique théologique du Nouveau Testament, Editions Universitaires de Fribourg & Edition du Cerf, 1991, pp. 18-33 (αγαπη).



Prédication écrite dans le cours d'E. Parmentier :
Prêcher aujourd'hui : théologies et pratiques

jeudi 10 mai 2018

Perdre et retrouver son chat : une expérience de la grâce

Etudier la théologie, c'est bien, c'est même vachement bien.
Mais la vivre, c'est quand même autre chose...


Blacksmith, c'est notre chaton, à Valentin et moi. Enfin, quand je dis "chaton", elle a déjà trois ans, mais bon, elle est si... minuscule que je la considère encore comme un petit bébé chat sans défense...
Pourquoi est-ce que je vous parle de ma chatte ? (si, si, j'ose la blague) Attendez, attendez.

"Tel maître, tel chat", comme on dit, et pour le coup, Smithy est aussi casanière que nous : chaque matin, elle est au rendez-vous pour le remplissage de sa gamelle, bien qu'elle sorte quand bon lui semble.
Et un matin, Smithy n'est pas là - ok, c'est déjà arrivé. Ni un deuxième, ni un troisième - là, ça commence à faire beaucoup. On s'inquiète, on imagine les pires scénarii, d'autant qu'elle a la sale manie de s'engouffrer dans chaque porte entrouverte. Est-elle enfermée quelque part ? Est-elle blessée ? Morte ?
Par où commencer les recherches ? Pour ne pas partir dans tous les sens, Valentin et moi décidons de faire appel à une personne ayant le don de localiser les animaux disparus. En parallèle, une amie vérifie au pendule si notre chat va bien : oui, elle va bien, elle n'est pas en détresse. Quant à la localisation, elle serait vers la déchetterie, près d'une rivière. Ça fait quand même à quelques kilomètres de chez nous, ça parait improbable... Mais bon, autant faire confiance, et aller chercher là-bas. Nous cherchons, plus de trois heures à arpenter les environs et appeler Blacksmith. Et on finit par renoncer.
On se dit qu'on va encore tenter un dernier truc, demain : contacter une personne pour une communication animale, et savoir pourquoi elle ne rentre pas, et où elle est.

Cette nuit, je dors très mal, comme depuis qu'elle a disparu, et j'ai peur de devoir faire le deuil de mon bébé chat. Au matin, sans trop y croire, je vais regarder le niveau de croquettes dans sa gamelle, qui a baissé. Je me dis que si Blacksmith était rentrée cette nuit, je l'aurais entendue, et que c'est probablement un autre chat qui est venu squatter, comme c'est déjà arrivé. Je pars ensuite prendre mon bus, en essayant de faire abstraction de mon chagrin.
Et là, Valentin m'appelle : "Devine qui vient de rentrer ?"



Cette histoire qui finit bien, je l'ai reçue comme une véritable expérience de la Grâce.
Valentin et moi avons tout tenté pour retrouver Smithy, j'ai prié, espéré un miracle, j'étais persuadée qu'elle viendrait vers nous quand elle nous entendrait l'appeler.
Au final, tout ce que nous avons fait n'a servi à rien. Elle est revenue, c'est tout.
Ce qui est d'autant plus beau, c'est que l'amie dont j'ai parlé, celle au pendule, m'a appris - après que je lui ai annoncé le retour du chat prodigue - qu'elle s'était essayée à la communication animale, sans que nous lui ayons rien demandé. Elle a transmis à Smithy notre inquiétude, et notre envie qu'elle rentre à la maison.

Le retour de Blacksmith, ça a été un don, un don total, sur lequel nous n'avons pas eu de prise.
Vraiment, c'est la première fois que je prends autant conscience de la Grâce de Dieu.
Nous ne pouvons pas comprendre, nous pouvons juste accueillir cet Amour.

Merci Chaton pour cette leçon de théologie.