1Quand
je parlerais les langues des humains et des anges, si je n'ai pas
l'amour, je suis une pièce de bronze qui résonne ou une cymbale qui
retentit. 2Quand
j'aurais la capacité de parler en prophète, la science de tous les
mystères et toute la connaissance, quand j'aurais même toute la foi
qui transporte des montagnes, si je n'ai pas l'amour, je ne suis
rien. 3Quand
je distribuerais tous mes biens, quand même je livrerais mon corps
pour en tirer fierté, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert à
rien. 4L'amour
est patient, l'amour est bon, il n'a pas de passion jalouse ;
l'amour ne se vante pas, il ne se gonfle pas d'orgueil, 5il
ne fait rien d'inconvenant, il ne cherche pas son propre intérêt,
il ne s'irrite pas, il ne tient pas compte du mal ; 6il
ne se réjouit pas de l'injustice, mais il se réjouit avec la
vérité ; 7il
pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.8L'amour
ne succombe jamais. Les messages de prophètes ? ils seront
abolis ; les langues ? elles cesseront ; la
connaissance ? elle sera abolie. 9Car
c'est partiellement que nous connaissons, c'est partiellement que
nous parlons en prophètes ; 10mais
quand viendra l'accomplissement, ce qui est partiel sera aboli. 11Lorsque
j'étais tout petit, je parlais comme un tout-petit, je pensais comme
un tout-petit, je raisonnais comme un tout-petit ; lorsque je
suis devenu un homme, j'ai aboli ce qui était propre au tout-petit. 12Aujourd'hui
nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière confuse, mais alors
ce sera face à face. Aujourd'hui je connais partiellement, mais
alors je connaîtrai comme je suis connu. 13Or
maintenant trois choses demeurent : la foi, l'espérance,
l'amour ; mais c'est l'amour qui est le plus grand.
(Traduction : Nouvelle Bible Second)
Amen ! ... Que voulez-vous ajouter à ça ?
Paul nous brosse le portrait de l'amour, et c'est beau. C'est même
très beau. Trop beau ?
Qui peut prétendre remplir toutes les conditions ?
« Patient, bon, pas de passion jalouse, ne se vante pas, ne se
gonfle pas d'orgueil, ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son
propre intérêt, ne s'irrite pas, etc... » Bref, vous m'avez
comprise... On ne peut pas remplir toutes ces conditions.
Donc, on n'a pas l'amour, pas vrai ? Et « si je n'ai pas
l'amour, je ne suis rien ». Alors quoi, on abandonne, on arrête
tout ? En lisant ces mots de Paul, il y a de quoi être
découragé : « si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien »,
« si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert à rien »...
Sans même aller jusqu'à vouloir remplir tous les
critères, il arrive parfois que l'amour – même notre petit amour
d'être humain – et bien... on ne le sente plus trop. On a
l'impression de l'avoir perdu... On connait tous ça, n'est-ce pas ?
On se lève un matin, et on n'a envie de rien, on n'a l'impression
qu'on ne sert à rien, qu'on est un poids pour les gens autour de
nous, et pour nous-mêmes... Et d'ailleurs, même quand on a
l'impression que tout va bien, comment être sûr qu'on aime, qu'on a
l'amour, vraiment ? Est-ce qu'on est pas en train de se
leurrer ? ... On fait alors l'expérience du vide, du doute.
Dans ces moments de doute, de vide, les mots de Paul peuvent vraiment
faire peur : si je n'ai pas l'amour, rien ne sert à rien. En
fait, ces mots enfoncent le clou, ils nous désespèrent, ils nous
clouent sur place. Comment s'en sortir ? Au moindre doute, à la
moindre baisse de régime, tout arrêter, parce que « ça ne
sert à rien » ?
Et si Paul avait tort ? Et si on pouvait quand même
continuer à agir, même sans avoir l'amour, et que nos actes
aient tout de même de la valeur ? On peut peut-être repenser à
Mère Térésa : elle qui a consacré sa vie aux pauvres de
Calcutta n'est-elle pas l'exemple même de l'amour et de la foi
agissantes ? Et pourtant... on a appris après sa mort, en
lisant ses correspondances, qu'elle avait vécu des décennies et des
décennies dans le doute le plus total, dans une impression de
ténèbres et d'abandon de Dieu. Malgré le vide, malgré le doute,
elle n'a pas abandonné, elle a continué à agir. Et ça n'a pas
servi à rien.
Alors, sans être des Mères Térésa, sans connaitre
les affres d'une nuit de la foi, je suis persuadée que chacun
d'entre nous peut agir sans toujours se poser la question :
« ai-je l'amour ? Est-ce que ce que je fais a du sens ? »
Quand on n'en peut plus des questions, quand on n'a pas de réponses,
on peut se reposer sur la routine pour continuer d'avancer. Pour en
revenir à une expérience plus familière que celle de Mère Térésa,
prenons l'exemple de l'université : certains matins, tout va
bien, j'aime mes études, je vais en cours toute motivée, assurée
du sens que la théologie a pour moi ; et d'autres matins... je
suis fatiguée, plus de motivation, les cours ne font plus sens... à
quoi bon ? Mais j'y vais quand même, parce que c'est ce que je
fais chaque semaine, parce que c'est ma routine. Et quand j'irai de
nouveau mieux, je pourrai me remercier d'y être quand même allée,
de n'avoir pas abandonné.
Si la routine n'est évidemment pas un but en soi, je
crois fermement qu'elle peut être utile pour continuer malgré les
crises – crises de foi, crises de sens, crises d'amour. C'est le
petit train-train quotidien qui nous maintient sur les rails lors de
nos petites (ou grandes) nuits de la foi.
Alors, oui, tant mieux si les mots de Paul nous portent
lorsque tout va bien, qu'on se sent rempli d'amour et qu'on a envie
d'agir et de devenir meilleur. Mais tant pis si ces mots de Paul ne
nous parlent pas. Ne nous mettons pas trop la pression. Après tout,
se sentir vide, douter, ça fait partie de notre vie de croyant.
Douter, ce n'est pas grave, ce n'est pas être un mauvais croyant. Au
contraire... Un ami m'a dit ceci : « Les ombres qui
planent sur nos vies sont le signe qu'il y a quelque part une lumière
qui vaut la peine d'être cherchée ».
« Les ombres qui
planent sur nos vies sont le signe qu'il y a quelque part une lumière
qui vaut la peine d'être cherchée. »
En fait, j'ai peut-être été un peu dure avec Paul, en
affirmant qu'il a tort... Parce quand Paul parle d'amour, il ne dit
pas tout à fait la même chose que nous, Européens du 21e siècle.
Pour nous, l'amour, c'est avant tout un sentiment que chacun
individuellement peut ressentir ou ne pas ressentir. On dit : je
l'aime, je suis amoureuse – c'est en nous. Pour le coup,
l'expression québécoise parlerait probablement plus à Paul :
être en amour. Car c'est bien de cela qu'il s'agit quand Paul
parle d'amour : ça n'est pas quelque chose qui est d'abord en
nous, c'est une force, une force indépendante de nous, qui nous
entoure, qui nous porte. En effet, il dit bien « L'amour ne
cherche pas ceci, l'amour n'est pas cela », et non pas :
« celui qui aime ne cherche pas ceci, celle qui aime n'est pas
cela. » Et ça change tout !
Parce que l'amour n'est pas de ma responsabilité :
c'est un don de Dieu. Et même plus : Dieu est l'amour.
Et cet amour qui est don de Dieu, c'est Dieu qui se donne lui-même à
travers le Christ, et qui demeure en nous par l'Esprit Saint. Et ça,
c'est beau ! C'est même très beau ! C'est presque trop
beau pour être vrai, et pourtant c'est vrai.
Alors, quand les mots de Paul sur l'amour nous laissent
un goût amer dans la bouche et dans le coeur, quand ils nous
paraissent trop lourds à porter, rappelons-nous qu'il ne parle pas
de notre force d'amour. Cette force dont il parle, c'est la
force de Dieu, sa force et sa faiblesse qui est l'amour ! Paul a
raison : « maintenant, trois choses demeurent : la
foi, l'espérance, l'amour. Mais c'est l'amour qui est le plus
grand ». Alors quand en nous vacillent la foi, quand semble
même s'éteindre l'espérance, rappelons-nous que le Dieu-Amour
demeure en nous, toujours ; qu'il est plus grand que tout, plus
grand que nos vides, plus grand que nos doutes. Et que c'est sur
cette force qu'il faut compter. Oui, l'amour qui nous habite est
d'abord l'amour qui vient de Dieu, parfois comme un feu qui réchauffe
toute notre âme, parfois comme une braise qui palpite sous la
cendre. Mais cet amour est toujours là, prêt à devenir la source
de nos actions, de notre amour.
Alors mes amis, n'ayez plus peur : doutez, agissez,
croyez, ayez la foi à déplacer des montagne – ou seulement des
petits cailloux – mais surtout aimez ! Et laissez-vous aimer.
Amen.
Bibliographie :
FOCANT C., « De
l'art de digresser pour donner au sujet une profondeur radicale (1
Corinthiens 13) », in : GERBER D. & KEITH P., Les
Hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions. XXIIe
congrès de l'Association catholique française pour l'étude de la
Bible (Strasbourg, 2007),
Les Editions du Cerf, Paris, 2009, pp. 99-118.
GRÜN A., L'Hymne
à l'amour, Parole et
Silence, 2009.
HERING J., La
Première Epître de Saint Paul aux Corinthiens,
Commentaire du Nouveau Testament, Delachaux & Niestlé,
Neuchâtel, 1949, pp. 115-122.
KEENER C., 1-2
Corinthiens, Cambridge
University Press, Cambridge, 2005, pp. 106-110.
SENFT C., La
Première Epitre de Saint Paul aux Corinthiens, 2e édition,
Commentaire du Nouveau Testament, Labor et Fides, Genève, 1990, pp.
165-172.
BROWN C. (éd.), The
New International Dictionary of New Testament Theology,
Paternoster Press, Exeter, 1976, pp. 538-547 (Love).
SPICQ C., Lexique
théologique du Nouveau Testament,
Editions Universitaires de Fribourg & Edition du Cerf, 1991, pp.
18-33 (αγαπη).
Prédication écrite dans le cours d'E. Parmentier :
Prêcher aujourd'hui : théologies et pratiques
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