mercredi 14 octobre 2020

La Bible & moi




Comment je lis la Bible ?

Sacrée question (quel humour) à laquelle je suis invitée à m'atteler par ce bon Olivier Kesh, lui-même inspiré par le non moins chouette Elio Jaillet... On pourrait imaginer qu'en tant que chrétienne, protestante qui plus est (Sola Scriptura, Luther, toi-même tu sais), et théologienne par dessus le marché, je sois finalement une grande habituée de la Bible. Eh bien... pas tant que ça.

Même si (attention contradiction immédiate) je crois me souvenir d'avoir lu toute la Bible du début à la fin, l'année de mes dix ans.

Ainsi, j'ai ce qu'on pourrait appeler un rapport ambivalent à ce fameux Bouquin : d'un côté, je l'aime et son contenu me passionne ; et d'un autre côté, je le trouve chiant et son contenu m'attire peu.

Commençons par explorer ce qui fait que j'y suis tout de même attachée, puis nous en viendrons au plus rigolo : comment puis-je affirmer, moi future pasteure stagiaire dans l'EERV, qu'après tout, je m'en fous un peu de la Bible. (Oui, c'est de la provocation gratuite.)


Depuis toute petite, j'ai été imprégnée des histoires de la Bible. Je me rappelle un petit livre en carton avec un puzzle représentant la parabole de la brebis perdue. Et au galetas de mes parents doit encore traîner cette relique à laquelle je repense parfois avec tendresse : ma première Bible – une Bible pour enfants, illustrée ; c'est de l'une de ses images que je tiens ma représentation spontanée et un peu naïve de Dieu, qui le représentait comme une silhouette de lumière assise sur un trône doré au milieu des nuages. A peine kitsch.

Depuis, j'ai agrandi ma collection, j'en ai de toutes tailles, de diverses traductions, d'origines variées. Ma plus belle pièce est une énorme Bible reliée d'un vieux cuir craquelé que mon Grand-Papa pasteur et ancien missionnaire m'a transmise, et qui date de MDCCLXXVII. J'en ai même une en allemand et écriture gothique (je ne parle pas l'allemand, évidemment).

Je crois qu'avant tout, j'ai une affection toute particulière pour l'objet bible, le livre quoi.


J'ai de l'affection aussi pour les récits mythiques de la Bible, qui ont accompagné mon enfance : la création du monde, l'arche de Noé, David contre Goliath, ... et les miracles et les paraboles de Jésus. Au delà de la théologie, et même au delà de la foi, c'est l'aspect « conte » des récits bibliques qui a toujours su me séduire. A présent, si je devais citer mes bouts de Bible favoris, je nommerais le Cantique des Cantiques, et le livre de Ruth.

Le Cantique des Cantiques, parce que c'est de la poésie (j'adore la poésie, thanks to mon prof de français au gymnase – pour le lol, un article de mon blog d'ado dans lequel je déclare ma flamme à la poésie). De la poésie qui laisse perplexe, parce que les images nous sont on ne peut moins familières : « Tes dents sont comme un troupeau de jeunes chèvres. » Hum... ok, je vois ce que tu veux dire, la blancheur et tout ça ; mais ça sonne chelou – et j'aime bien. Et surtout, parce que c'est un texte qui dit le désir irrépressible de deux amoureuxes, qui se cherchent pour s'aimer (et baiser, aussi, disons le tout net).

Le livre de Ruth, quant à lui, fait partie de mes favoris depuis longtemps, premièrement parce que l'une des protagonistes principale porte le même prénom que moi. Forcément, ça crée des liens. Puis, avec mon exploration du féminisme, cette histoire de femmes est devenu pour moi un exemple de sororité, d'agir féminin. On pourrait même y voir une histoire d'amour lesbienne, ce qui n'est pas pour déplaire à la queer théologienne que je suis.

Ce qui est drôle, c'est que ce sont deux textes où Dieu est finalement assez discret·e (voire totalement absent·e, dans le Cantique des Cantiques). Après tout, c'est peut-être plus parlant, cette action incognito de Dieu, dans nos vies à nous, que le buisson ardent ou autre apparition extraordinaire.


Bon, on va quand même le dire, hein : j'aime la Bible surtout pour les Evangiles. Avec la théologie, j'ai appris à les différencier, à les aimer pour leurs particularités propres, mais je les aime parce que... ben, Jésus. J'ai souvent envie de pouvoir me passer de la Bible, mais à chaque fois, je me rappelle qu'elle contient les Evangiles, seuls témoins de qui fut ce Jésus de Nazareth qui me touche et m'inspire tant. J'aime ce que dit Paul de Jésus, ou plutôt du Christ, dans ses lettres, et je suis plutôt émue en pensant à ce petit bonhomme d'il y a deux millénaires dont la pensée et la foi nous sont parvenues jusqu'à aujourd'hui.


Mais bon, la Bible m'ennuie aussi beaucoup. Depuis plus de deux cents jours, je suis un programme de lecture de la Bible sur une appli, afin d'avoir tout lu sur une année (histoire de critiquer en connaissance de cause héhé), et me voilà confrontée bien souvent à des textes qui ne me parlent pas. Ça n'est pas un mal en soi, hein – si je devais me les farcir en exégèse, j'aurais probablement du plaisir à les décortiquer, mais justement : dans ma vie de foi, je n'ai pas toujours envie de devoir creuser pour trouver de quoi me nourrir – mais quand on lit plusieurs mois de suite des descriptions de bâtiments, des catalogues de lois obsolètes, des prophètes qui promettent destruction et colère divines à tout bout de champ, ben... c'est lassant, et un peu épuisant mentalement, aussi. Et ça ne me parle pas de Dieu, ce schéma faute-punition-repentance-pardon. Même si certains textes résonnent en moi comme un avertissement face à notre société qui déconne, apparemment sur les mêmes points qu'il y a des siècles et des siècles (par exemple : Habacuc 2).


≈En fait, s'il y a un truc qui me dérange ultimement dans les textes bibliques, c'est qu'ayant été rédigés dans des contextes patriarcaux, ils servent encore aujourd'hui à asservir, hiérarchiser, diviser. Je ne surprendrai personne qui me connaisse un tant soit peu en affirmant mon horreur d'une lecture littéraliste. Je n'aime pas la Bible, parce qu'en son nom, tellement de personnes ont été dévalorisées, rejetées, torturées, forcées de se cacher, ... Je n'aime pas la Bible, parce qu'elle a fait de Dieu un objet argumentable, « parce que c'est écrit, alors c'est comme ça, alors IL est comme ça » J'avoue, j'ai de la peine à croire en un Dieu qui extermine des populations pour installer son peuple sur leur territoire, qui élit des personnes au détriment d'autres.


J'ai évidemment un problème avec la Genèse et son récit de la chute, qui dessine les contours d'une humanité pécheresse, qui à un point de son histoire a définitivement badé, nous faisant encore culpabiliser aujourd'hui d'avoir fauté dans un absurde passé atemporel. D'autant que selon ce texte et la longue tradition d'interprétations ultérieures, c'est surtout la femme qui a péché, justifiant son infériorité.

Non, vraiment, rien ne va dans ce texte pourtant si fondamental dans la pensée de beaucoup. Une vision binaire de l'humain, qui invalide celleux qui ne se reconnaissent pas dans cette binarité, qui discrimine celleux qui aiment les personnes du même sexe ; une vision pessimiste de l'humanité qui culpabilise sans réellement responsabiliser ; une dévalorisation du matériel, du concret, du corps car souillés par le péché – et donc de la femme, puisqu'elle est tentatrice et charnelle avant tout, n'est-ce pas.

Dans un cours de développement personnel online spécialement adressé aux femmes créé par la psychologue Nina Luka, elle nous propose de nous pencher sur l'influence de nos mythes fondateurs sur notre sexualité, notre psyché, notre rapport aux autres et à soi. Elle a justement pointé du doigt la lourdeur intenable que le mythe chrétien de la chute peut faire peser sur la féminité. Pour s'en défaire, elle incite à inventer, réécrire son propre mythe fondateur afin qu'il ne soit plus un poids dans l'expression de nous-mêmes. Ce que j'ai fait, dans ce précédent article, et bon Dieu que ça m'a fait du bien !


En vérité, même si j'adore les livres, et ce Livre en particulier malgré tout, je ne me reconnais pas comme croyante d'une religion du Livre. Ce qui fait la particularité du christianisme selon moi n'est pas la Bible dont les écrits contiendraient une hypothétique révélation divine (même si je suis fermement convaincue que certains textes portent en eux le Souffle de l'Esprit), mais bien l'Incarnation. Le texte n'est qu'un moyen de transmettre cette bonne nouvelle d'un Dieu qui nous aime tant qu'Iel est venu au plus proche de notre condition humaine.

Il y a bien plus à vivre dans la foi quant on se réfère à cette espérance plutôt qu'exclusivement à une compilation d'écrits. D'ailleurs, en discutant avec des amis, nous nous faisions la réflexion que justifier toute sa conduite et son système de valeur sur la Bible (texte fini et circonscrit dans le temps, hein), c'est finalement faire preuve de peu de foi, de peu de confiance en ce que peut nous dire Dieu aujourd'hui même, dans l'immédiateté de nos existences et expériences uniques.


Dans cette même idée, ce que je peux encore reprocher à la Bible, c'est qu'elle risque, à force d'intellectualisation et de sur-spiritualisation, de nous empêcher de déceler et vivre le divin dans le beau, la nature, l'authenticité. Je ressens bien plus souvent la présence de Dieu face à la quiétude d'un lac ou à la majesté d'une montagne, ou en goûtant le bien-être que m'apporte un temps entre ami·e·s, ou dans l'intimité de la prière, qu'en me plongeant dans les caractères minuscules de la Bible.

Ce que je veux dire, fondamentalement, c'est que je considère la Bible comme un support pour ma théologie (et donc mon intellect), passionnant et déroutant quand j'ai l'énergie de m'y atteler ; or, ma foi ne se trouve pas dans le mental ou la réflexion, mais dans ce que je peux vivre et ressentir.

La Bible ne me parle pas de Dieu, mais des humains. J'aime la penser non pas comme un manuel du·de la bon·ne chrétien·ne, mais comme un recueil d'exemples de trajectoires de vie qui ont tenté, dans les circonstances qui leur étaient propres, de se diriger vers Dieu.

Dieu quant à Ellui reste toujours au-delà de ce que l'on peut en dire.


A présent qu'il me semble avoir fait le tour de ma relation à la Bible, comment conclure ?

Peut-être en lui laissant le dernier mot, finalement :

« J'ai donc fait l'éloge de la joie, parce qu'il n'y a rien de bon pour l'être humain sous le soleil, sinon de manger, de boire et de se réjouir ; c'est là ce qui doit l'accompagner dans son travail, pendant les jours de la vie que Dieu lui donne sous le soleil. »

[Qohéleth 8, 15. Traduction NBS]



3 commentaires:

  1. Merci ! Même si ça va dans un sens assez différent de ce que j'ai écris de mon côté, ça touche quelque chose profond en moi qui fait que j'en suis tout ému ! Keep writing !

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    1. Tes mots me touchent, je t'en suis très reconnaissante ^^

      Merci à toi d'avoir lancé cette réflexion autour de la Bible, j'ai vraiment trouvé enrichissant de m'y plonger à mon tour.

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  2. Chouette, merci. Me correspond assez bien !

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