samedi 23 mars 2019

Voyage voyage


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Comment le voyage a changé votre vie 
au quotidien ?



C'est la question qu'a posée ma frangine lors d'un "carnaval d'articles" organisé sur son magnifique blog 
que je vous invite chaleureusement à découvrir, ainsi que sa page instagram


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Autant prévenir tout de suite : Je ne suis pas une voyageuse. Ou du moins, pas une grande voyageuse. Et pourtant, en un certain sens, voyager fait partie de ma vie.




Il y a plusieurs sortes de voyages.
Celui que je pratique le plus est le voyage intérieur : explorer les méandres de son esprit, les paysages de ses pensées, le climat de ses émotions. J'ai tellement baroudé dans le coin que je pourrais en faire une cartographie vraiment précise. Et, paradoxalement, comme c'est un lieu mouvant, il est nécessaire d'y retourner souvent pour ne pas risquer se perdre.
On pourrait dire que sortir de sa zone de confort, c'est aussi voyager : voyager hors de ses habitudes, et si parfois cela peut impliquer de voyager au sens premier du terme, ça n'est pas nécessaire. Le quotidien est aussi un chez-soi qui peut être enfermant, étouffant, et il est salutaire d'en sortir de temps en temps, aérer, s'aérer. Salutaire, mais pas facile, et je parle pour moi !
Je pense qu'au final, voyager, c'est avant tout une question de décentrement, sans lequel le recentrement (sur l'essentiel, sur ce qui fait la saveur de ma vie) n'est pas possible. Dans cette acception large, je peux affirmer que le voyage change ma vie au quotidien. Parce que je recherche sans cesse à m'élargir le coeur et l'esprit, à sortir de mon autisme primaire pour aller à la rencontre de l'ailleurs, mais surtout à la rencontre de l'autre, de l'Autre. Pour me sentir connectée ; pour me sentir vivre plus amplement que seulement pour ma tronche ; pour sentir qu'en face, l'autre me recherche aussi, peut-être. Le monde est peuplé de gens qui comptent tout autant que moi.
Voyager, c'est se rendre disponible. Et ça prendra probablement une vie entière à mettre cette disponibilité en pratique pour de vrai.

Bon, je vais quand même me confronter à la compréhension première du voyage, n'est-ce pas ? Je l'ai dit, je ne suis pas une voyageuse. Cependant, j'ai été dans quelques endroits qui m'ont changée, un peu ou beaucoup, ça dépend du lieu et des jours.

Israël, c'est à toi que je pense en premier ! Il y a presque quinze ans que nous nous sommes rencontrées, moi l'adolescente et toi, le berceau mythique du monothéisme. Aujourd'hui j'étudie ton histoire, les événements qui t'ont forgée à travers les millénaires, j'étudie les textes qui sont nés en ton sein. Et ça fait partie du sens que j'ai donné (qu'Il – oui, Lui là-haut – a donné?) à ma vie. Tu as changé ma vie, pas par le fait que j'aie foulé tes terres, mais par ta seule existence. Cependant, je suis très reconnaissante d'avoir pu mettre mes pas dans ceux de Celui dont tu as vu la naissance, la mort et la résurrection.

Vikingeskibsmuseet - Roskilde

Et puis, Copenhague, ma dernière idylle en date... Ville solaire et maritime, ville mouvante et paisible : toi, tu m'as changée. Parce que j'ai décidé que tu me changerais, parce que c'est en tes murs que j'ai voulu apprendre l'indépendance, ne serait-ce que durant quelques jours. Grâce aux obstacles que j'ai dû franchir pour te rejoindre, grâce à ta bienveillance, j'ai pu découvrir en moi des ressources que je soupçonnais à peine. Et lorsque, à l'avenir, j'aurai envie de me décourager, de me replier sur moi-même, de me sous-estimer, je me souviendrai de toi.

Chaque souvenir façonne la personne, chaque souvenir change la structure mentale de la personne, modifie la manière dont elle se définit. Alors, même si je ne perçois pas consciemment les changements induits par mes divers petits voyages, j'ai envie de les remercier, les remercier de participer à qui je suis.
Merci à vous bords de mer et campings en famille, merci à toi Valais cher à mon couple, merci à vous Bruxelles, Dublin, Budapest, merci à vous Bretagne et Alsace. Et j'ose un très naïf mais très sincère « Merci ma chère Gaïa, pour ta beauté et tes largesses ».

Pour terminer, j'ai encore envie de mentionner une autre sorte de voyage : ceux à venir, ceux que l'on rêve. Cet horizon espéré nous change, avant même que nous ne voyagions concrètement, parce que nous y songeons, parce que nous posons des actes qui nous en rapprochent.
Personnellement, je rêve depuis plus de dix ans au Japon, et ce voyage fait partie de ma vie avant même d'exister, car j'en parle, je tente d'apprendre la langue, je m'imprègne de sa culture. Pourtant je dois dire, pour des raisons de temps, d'argent, d'écologie : il est possible que je n'y aille jamais. Ce n'est pas triste car, d'une certaine manière, le Pays du Soleil Levant m'a changée en profondeur, fait désormais partie intégrante de mon identité, et je peux tout à fait imaginer me contenter d'une relation à distance avec lui.
Et depuis peu, j'ai cette envie d'un voyage-racines : le Mozambique. J'aimerais découvrir ce pays que je ne connais pas, et qui fait partie de mon histoire familiale.
Maputo, Tokyo, entre vous et moi, c'est Inch'Allah !


Finalement, notre vie tout entière n'est-elle pas le plus ambitieux voyage que nous ayons à entreprendre ? Laissons-nous transformer tout au long de cette aventure extraordinaire et quotidienne !

vendredi 1 mars 2019

Dies Irae


Je vous propose aujourd'hui un sujet qui fâche : la colère.


Parce que, dernièrement, je me suis rendu compte qu'on n'a pas souvent la possibilité de l'exprimer, et qu'on doit au contraire la contenir à l'intérieur de nous – au risque de la laisser nous consumer.
Je vis dans un monde, et nous sommes beaucoup dans ce cas, où la colère est considérée uniquement comme négative : la faute à une certaine morale stoïcienne qui prône l'ataraxie (la disparition de toute passion), la faute à une vision de la féminité comme devant être douce et à l'écoute, la faute à une mentalité suisse – et particulièrement vaudoise – qui ne veut déranger personne, la faute à l'image lisse d'un Jésus qui pardonne et tend l'autre joue.

Moi-même, j'ai longtemps cru que la joie était la seule émotion de base à être positive, aux dépends de la peur, du dégoût, de la tristesse et de la colère. Pourtant, et merci Vice-versa, chaque émotion a sa raison d'être, et aucune n'est intrinsèquement positive ou négative (toujours dans Vice-versa : ce merveilleux moment où Joie se révèle inutile face à un compagnon en détresse, tandis que Tristesse écoute et compatit, permettant le soulagement).

N'en déplaise à maître Yoda, chaque émotion est légitime, et pour qu'elle s'exprime adéquatement, il ne faut pas la rejeter, mais bien au contraire l'habiter, lui faire place, l'écouter. Ouh, quelle mauvaise padawan je ferais.
(Mais bon, ils auraient appris à Anakin à gérer ses peurs et ses colères plutôt que les museler, pas sûr que Dark Vador aurait existé...)


Blague à part, pourquoi vous parler spécifiquement de la colère ?

Il se trouve que mon travail de mémoire universitaire concerne l'inclusivité dans l'EERV, et qu'au détour de mes lectures sur le sujet, un constat s'est imposé à moi : même les plus fervents défenseurs (romands) de l'inclusivité restent très soucieux de ne pas brusquer les opposants (j'aurais pour ma part tendance à dire : les homophobes), de prendre en compte leur réticences, de n'avancer qu'à coup de compromis tièdes pour « perdre » le moins de monde au sein de nos Eglises.

J'avoue, ça m'a mise en colère. Parce que, finalement, j'en ai marre qu'on doive faire des compromis au nom de l'Evangile, pour que chacun se sente à l'aise ! Au bout d'un moment, il faut oser se positionner, surtout au nom de l'Evangile !

De là, l'idée de travailler sur la colère (celle du Christ principalement, que je prends comme modèle d'inclusivité), entre autres pistes de réflexion sur l'inclusivité au sein de l'EERV : et le moins qu'on puisse dire, c'est que mon intuition semble prometteuse.
Je n'en suis qu'au tout début de cette approche, et ma pensée n'est pas encore construite, mais j'ai envie de vous livrer quelques unes de mes avancées sur le sujet.





Tout d'abord, l'observation du Jésus des Evangiles, qui n'est pas aussi « angélique » qu'on pourrait le croire a priori : il a chassé les marchands du Temple (à coups de fouet, selon Jean!), il a traité Pierre de Satan, et traité ses disciples de débiles (j'actualise son propos) un nombre incalculable de fois, maudit un figuier, traité vertement les pharisiens, etc. Certes, il a bien dit : « Si quelqu'un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre » (Lc 6, 29), maiiiis, il a aussi dit « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée » (Mt 10, 34).
Jésus de Nazareth était un rabbi exigeant, intransigeant. Les compromis, assez peu pour lui.



Ensuite, grâce à d'éclairantes lectures (principalement : Sainte Colère de Lytta Basset, et Oser la colère de Yolande Nicole Boinnard, que je vous recommande chaudement!), j'ai pu confirmer mon pressentiment : la colère nait bien souvent d'un besoin de justice, la colère est nécessaire à l'affirmation de l'identité, l'expression de la colère est indispensable à la résolution de conflit, la colère ne s'oppose pas à l'amitié mais à l'indifférence. Le tout étant de savoir la prendre en compte, la prendre à bras le corps (à bras le coeur?) afin qu'elle puisse être un terreau fertile, et qu'elle ne nous ronge plus insidieusement.






Voici quelques citations :


Vue sous cet angle, la colère serait ce qui rend incandescent mon besoin de justice : nous voyons rouge ce que nous n'aurions même pas remarqué dans une période d'indifférence. L'irruption de la colère nous met au pied du mur, que nous le voulions ou non.
[L. Basset, Sainte Colère, p. 76]

L'enjeu de la colère est donc bien la justice. Une personne en colère est une personne qui n'a pas renoncé à la justice : y a-t-il une Justice ?
[L. Basset, Sainte Colère, p. 81]

N'est-ce pas à force de vouloir être gentil et ne contrarier personne qu'on en arrive à contribuer aux pires injustices ?
[L. Basset, Sainte Colère, p. 185]

Il s'agit pour Jésus de dissiper un malentendu. C'est que, selon notre façon spontanée d'aborder le message biblique, nous attendons exclusivement paix et harmonie de la part du « bon Dieu » et du « doux Jésus ». Fidèles à cette image, nous croyons devoir éviter tout conflit.
[L. Basset, Sainte Colère, p. 222]

Il est lui, avec son hostilité ou sa malfaisance, je suis moi avec ma soif de relation authentique et pour le moment nous sommes incapables de nous rejoindre ; je cesse tout effort pour faire de lui un-e ami-e ; moi qui me croyais en bons termes avec tout le monde parce que je cherchais toujours à être comme le “gentil Jacob”, j'admets, j'accepte que j'ai des ennemis... Me voilà seul-e, provisoirement défusionné-e ; au moins, les choses sont claires. Or, je constate que ma solitude est supportable car la distance instaurée par ma décision de nommer le réel comme il est (autrui est mon « ennemi » pour le moment) me remet immédiatement en contact avec ce qu'il y a de plus vivant en moi : ma capacité à prier pour lui et pour moi ; je m'en remets à Celui qui prend et prendra toujours mon parti dans l'injustice que je subis, et je remets autrui à Celui qui ne le laisse et ne le laissera pas perdre à jamais le tracé du chemin-vérité-vie en lui-même.
[L. Basset, Sainte Colère, p. 231]

Jusqu'où Jésus de Nazareth, fils d'humanité aux prises avec les mêmes difficultés que tout être humain, est-il allé dans l'acceptation de son ambivalence aux yeux des autres ? Il n'a pas craint d'admettre qu'il avait des ennemis ; il les a désignés comme tels, dans la clarté de la différentiation, n'hésitant pas à repousser violemment l'un de ses disciples dont l'amitié fusionnelle l'empêchait d'aller jusqu'au bout de lui-même à travers la « perte de son être » (Mt 16,25).
[L. Basset, Sainte Colère, p. 233-234]

Une sainte colère est une colère qui a été déposée en Celui qui ne renonce jamais à ce que justice soit rendue : « A moi la vengeance, la rétribution ou le paiement », lisait-on déjà en Dt 32,35 ; c'est le meilleur placement que vous puissiez faire : votre colère m'est précieuse, c'est une plante exubérante que je veux tailler pour la faire s'épanouir en fruits de justice et d'équité ; c'est un matériau brut dont je peux et veux faire une oeuvre d'art ; c'est la part la plus vivante en vous que je désire embraser de ma force de vie.
[L. Basset, Sainte Colère, p. 248]

A l'origine de toute colère sanctifiée, il y a le désir de ne pas enfermer autrui dans son inconscience ; si je me fâche contre lui, c'est que je crois un minimum en son humanité, c'est à dire en sa capacité de cheminer ; cela m'est insufflé par Celui qui sanctifie ma colère (...)
[L. Basset, Sainte Colère, p. 263]

Et pourtant, je sais que la colère peut nous permettre d'accéder à notre dignité et à notre créativité.
La colère fonctionne comme un système d'alarme. L'émotion qui monte témoigne d'un mauvais fonctionnement des relations, d'une frustration, d'un manque de respect ; elle révèle que quelque chose doit être fait pour rétablir la dignité blessée, reconstruire l'intégrité, réinvestir le territoire que d'autres ont envahi, mettre un terme à l'intrusion, à la manipulation, au harcèlement.
(...) Maladie relationnelle bien connue en milieu chrétien : la peur de la colère se mue en peur du conflit, voire du simple désaccord. Chacun-e s'interdit de dire non à des comportements blessants, la frustration s'installe, les blessures s'enveniment ; il devient de plus en plus difficile de se parler en vérité. Et lorsque la coupe déborde, la situation explose, la division s'installe... la peur de la colère, loin de préserver l'amour, le détruit.
[Y. N. Boinnard, Oser la colère, p. 25-26]

Ni dominer, ni même « gérer » sa colère – mais apprendre à s'en faire une alliée, peut-être même une amie. Lorsqu'elle naît à la suite d'une blessure d'amour-propre, elle peut m'inviter à l'humilité ; lorsqu'elle surgit, suscitée par une atteinte à la justice et à la dignité, elle marque le cadre d'une vie véritablement humaine et stimule à agir pour que ce cadre soit respecté. Elle engage en tous cas à accorder une juste importance à la blessure qui a été infligée ; elle peut nous aider à devenir conscients de ce qui nous habite en vérité.
[Y. N. Boinnard, Oser la colère, p. 68-69]

Est-ce bien adroit de conclure sur la miséricorde ? Un danger menace : confondre miséricorde et pardon, sauter par-dessus les étapes, se précipiter sur la nécessité du pardon pour éviter le parfois douloureux passage par la colère, et les difficiles démarches de clarification. Devenir indulgent, ne pas réagir au mal, faire l'économie du courroux et de l'indignation.
Or cette économie peut coûter fort cher. On a vite fait d'affirmer un pardon illusoire, qui flirte avec le déni, ou avec le mensonge. On ne peut sans doute pas exercer la miséricorde sans avoir traversé la colère, sans avoir perçu avec lucidité la nature des blessures, sans avoir formulé des reproches, sans être entré en dialogue. Pour les humains comme pour Dieu, miséricorde ne signifie pas indifférence, ni renoncement à sa dignité, encore moins négation des souffrances. La miséricorde, l'amour, invitent chaque protagoniste à prendre ses responsabilités, engagent à faire tout le possible pour restaurer une relation compromise.
Ainsi s'ouvrent les chemins de réconciliation. Ainsi chaque personne aura une chance de tourner le dos à la haine, à la rancune, à la vengeance. Et d'aimer son proche comme soi-même, en tenant ensemble, d'une main ferme, colère et miséricorde.
[Y. N. Boinnard, Oser la colère, p. 89-90]




C'est par amour pour l'Eglise (et plus particulièrement pour l'EERV, mon cher futur employeur) que je suis en colère contre elle. J'aimerais qu'elle ose se positionner non pas en cherchant sa propre conservation, mais en cherchant l'Evangile. Et si ça ne passera jamais par des poings dans la gueule, ça passera parfois par des poings sur la table.


La suite au prochain épisode* !

(*mon mémoire, si vous avez suivi)