
(Traduction : Nouvelle Bible Second)
Amen ! ... Que voulez-vous ajouter à ça ?
Paul nous brosse le portrait de l'amour, et c'est beau. C'est même
très beau. Trop beau ?
Qui peut prétendre remplir toutes les conditions ?
« Patient, bon, pas de passion jalouse, ne se vante pas, ne se
gonfle pas d'orgueil, ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son
propre intérêt, ne s'irrite pas, etc... » Bref, vous m'avez
comprise... On ne peut pas remplir toutes ces conditions.
Donc, on n'a pas l'amour, pas vrai ? Et « si je n'ai pas
l'amour, je ne suis rien ». Alors quoi, on abandonne, on arrête
tout ? En lisant ces mots de Paul, il y a de quoi être
découragé : « si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien »,
« si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert à rien »...
Sans même aller jusqu'à vouloir remplir tous les
critères, il arrive parfois que l'amour – même notre petit amour
d'être humain – et bien... on ne le sente plus trop. On a
l'impression de l'avoir perdu... On connait tous ça, n'est-ce pas ?
On se lève un matin, et on n'a envie de rien, on n'a l'impression
qu'on ne sert à rien, qu'on est un poids pour les gens autour de
nous, et pour nous-mêmes... Et d'ailleurs, même quand on a
l'impression que tout va bien, comment être sûr qu'on aime, qu'on a
l'amour, vraiment ? Est-ce qu'on est pas en train de se
leurrer ? ... On fait alors l'expérience du vide, du doute.
Dans ces moments de doute, de vide, les mots de Paul peuvent vraiment
faire peur : si je n'ai pas l'amour, rien ne sert à rien. En
fait, ces mots enfoncent le clou, ils nous désespèrent, ils nous
clouent sur place. Comment s'en sortir ? Au moindre doute, à la
moindre baisse de régime, tout arrêter, parce que « ça ne
sert à rien » ?
Et si Paul avait tort ? Et si on pouvait quand même
continuer à agir, même sans avoir l'amour, et que nos actes
aient tout de même de la valeur ? On peut peut-être repenser à
Mère Térésa : elle qui a consacré sa vie aux pauvres de
Calcutta n'est-elle pas l'exemple même de l'amour et de la foi
agissantes ? Et pourtant... on a appris après sa mort, en
lisant ses correspondances, qu'elle avait vécu des décennies et des
décennies dans le doute le plus total, dans une impression de
ténèbres et d'abandon de Dieu. Malgré le vide, malgré le doute,
elle n'a pas abandonné, elle a continué à agir. Et ça n'a pas
servi à rien.
Alors, sans être des Mères Térésa, sans connaitre
les affres d'une nuit de la foi, je suis persuadée que chacun
d'entre nous peut agir sans toujours se poser la question :
« ai-je l'amour ? Est-ce que ce que je fais a du sens ? »
Quand on n'en peut plus des questions, quand on n'a pas de réponses,
on peut se reposer sur la routine pour continuer d'avancer. Pour en
revenir à une expérience plus familière que celle de Mère Térésa,
prenons l'exemple de l'université : certains matins, tout va
bien, j'aime mes études, je vais en cours toute motivée, assurée
du sens que la théologie a pour moi ; et d'autres matins... je
suis fatiguée, plus de motivation, les cours ne font plus sens... à
quoi bon ? Mais j'y vais quand même, parce que c'est ce que je
fais chaque semaine, parce que c'est ma routine. Et quand j'irai de
nouveau mieux, je pourrai me remercier d'y être quand même allée,
de n'avoir pas abandonné.
Si la routine n'est évidemment pas un but en soi, je
crois fermement qu'elle peut être utile pour continuer malgré les
crises – crises de foi, crises de sens, crises d'amour. C'est le
petit train-train quotidien qui nous maintient sur les rails lors de
nos petites (ou grandes) nuits de la foi.
Alors, oui, tant mieux si les mots de Paul nous portent
lorsque tout va bien, qu'on se sent rempli d'amour et qu'on a envie
d'agir et de devenir meilleur. Mais tant pis si ces mots de Paul ne
nous parlent pas. Ne nous mettons pas trop la pression. Après tout,
se sentir vide, douter, ça fait partie de notre vie de croyant.
Douter, ce n'est pas grave, ce n'est pas être un mauvais croyant. Au
contraire... Un ami m'a dit ceci : « Les ombres qui
planent sur nos vies sont le signe qu'il y a quelque part une lumière
qui vaut la peine d'être cherchée ».
« Les ombres qui
planent sur nos vies sont le signe qu'il y a quelque part une lumière
qui vaut la peine d'être cherchée. »
En fait, j'ai peut-être été un peu dure avec Paul, en
affirmant qu'il a tort... Parce quand Paul parle d'amour, il ne dit
pas tout à fait la même chose que nous, Européens du 21e siècle.
Pour nous, l'amour, c'est avant tout un sentiment que chacun
individuellement peut ressentir ou ne pas ressentir. On dit : je
l'aime, je suis amoureuse – c'est en nous. Pour le coup,
l'expression québécoise parlerait probablement plus à Paul :
être en amour. Car c'est bien de cela qu'il s'agit quand Paul
parle d'amour : ça n'est pas quelque chose qui est d'abord en
nous, c'est une force, une force indépendante de nous, qui nous
entoure, qui nous porte. En effet, il dit bien « L'amour ne
cherche pas ceci, l'amour n'est pas cela », et non pas :
« celui qui aime ne cherche pas ceci, celle qui aime n'est pas
cela. » Et ça change tout !
Parce que l'amour n'est pas de ma responsabilité :
c'est un don de Dieu. Et même plus : Dieu est l'amour.
Et cet amour qui est don de Dieu, c'est Dieu qui se donne lui-même à
travers le Christ, et qui demeure en nous par l'Esprit Saint. Et ça,
c'est beau ! C'est même très beau ! C'est presque trop
beau pour être vrai, et pourtant c'est vrai.
Alors, quand les mots de Paul sur l'amour nous laissent
un goût amer dans la bouche et dans le coeur, quand ils nous
paraissent trop lourds à porter, rappelons-nous qu'il ne parle pas
de notre force d'amour. Cette force dont il parle, c'est la
force de Dieu, sa force et sa faiblesse qui est l'amour ! Paul a
raison : « maintenant, trois choses demeurent : la
foi, l'espérance, l'amour. Mais c'est l'amour qui est le plus
grand ». Alors quand en nous vacillent la foi, quand semble
même s'éteindre l'espérance, rappelons-nous que le Dieu-Amour
demeure en nous, toujours ; qu'il est plus grand que tout, plus
grand que nos vides, plus grand que nos doutes. Et que c'est sur
cette force qu'il faut compter. Oui, l'amour qui nous habite est
d'abord l'amour qui vient de Dieu, parfois comme un feu qui réchauffe
toute notre âme, parfois comme une braise qui palpite sous la
cendre. Mais cet amour est toujours là, prêt à devenir la source
de nos actions, de notre amour.
Alors mes amis, n'ayez plus peur : doutez, agissez,
croyez, ayez la foi à déplacer des montagne – ou seulement des
petits cailloux – mais surtout aimez ! Et laissez-vous aimer.
Amen.
Bibliographie :
FOCANT C., « De
l'art de digresser pour donner au sujet une profondeur radicale (1
Corinthiens 13) », in : GERBER D. & KEITH P., Les
Hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions. XXIIe
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Bible (Strasbourg, 2007),
Les Editions du Cerf, Paris, 2009, pp. 99-118.
GRÜN A., L'Hymne
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Silence, 2009.
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University Press, Cambridge, 2005, pp. 106-110.
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Paternoster Press, Exeter, 1976, pp. 538-547 (Love).
SPICQ C., Lexique
théologique du Nouveau Testament,
Editions Universitaires de Fribourg & Edition du Cerf, 1991, pp.
18-33 (αγαπη).
Prédication écrite dans le cours d'E. Parmentier :
Prêcher aujourd'hui : théologies et pratiques